Les prophéties extraordinaires de John Glubb (Analyse)
Cet article a été publié sur le média Agoravox en juin 2020.
John Bagot Glubb est né en 1897 d’un père ingénieur militaire avec lequel il voyagea beaucoup avant de devenir lui-même officier dans l’armée britannique. Passionné d’Histoire, il publia 17 livres parmi lesquels un livre sobrement intitulé « le sort des empires à la recherche de leur survie ». Ecrit en 1977, il est passé à la postérité pour la profondeur de son analyse historique malgré sa concision. Il est téléchargeable gratuitement sur internet.
La fin de la civilisation européenne?
Dans ce livre, John Glubb analyse les conditions de naissance, d’expansion puis de déclin des grands empires qui ont façonné l’Histoire. Il constate un phénomène étonnant : la durée de vie des empires est relativement constante, de 250 ans environ.
Au sein d’une même civilisation, on peut assister à des « passages de relais » qui remettent le compteur à zéro : par exemple le passage de la République romaine qui dura de -260 à -27 (233 ans) à l’Empire romain (de -27 à +180 soit 207 ans).
Sur la base de cette durée relativement constante, John Glubb estime que l’empire américain, qui a débuté en 1846 devrait se terminer au cours de la seconde moitié du 21e siècle.
Si on transpose cette analyse à la civilisation européenne moderne qui débute à la fin du XVIIIe siècle avec les bouleversements de la Révolution française, on arrive à un clap de fin aux alentours de 2050.
D’après l’analyse de John Glubb, plusieurs options sont alors possibles : soit une révolution profonde et douloureuse qui transformera profondément l’ordre existant vers 2050 et permettra de repartir sur un cycle de 250 ans ; soit un effondrement lent ; soit un passage sous domination d’une autre civilisation plus dynamique, hypothèse qui fait écho au livre « Soumission » de Michel Houellebecq.
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Le cycle de vie des empires
John Glubb identifie 5 phases dans le cycle de vie d’un empire : l’âge des pionniers, l’âge des conquêtes, l’âge du commerce, l’âge de l’abondance, l’âge de l’intellect et enfin l’âge de la décadence.
Il est intéressant de noter que l’âge de l’intellect précède l’âge de la décadence alors qu’il constitue à priori un élément positif. John Glubb note en effet qu’à la suite de l’âge de l’abondance, l’élite civile et politique est en plein zénith et s’enorgueillit de financer artistes, œuvres d’art, musées, écoles et universités. Cet âge s’accompagne de progrès scientifiques importants.
John Glubb note ainsi que « la diffusion des connaissances semble être la plus bénéfique des activités humaines, et pourtant chaque période de déclin est caractérisée par cette expansion de l’activité intellectuelle. »
Comment expliquer cela ? John Glubb analyse que « l’intellectualisme et la perte du sens du devoir apparaissent simultanément dans l’histoire de la vie de la nation. […] L’intellectuel brillant, mais cynique apparaît à l’extrémité opposée du sacrifice émotionnel du héros ou du martyr. »
Ce constat rejoint celui d’un autre auteur intéressant : dans son livre « Metahistory », Hayden White analyse le rapport entre l’imaginaire historique d’une civilisation et la phase dans laquelle elle se situe. Il note ainsi que, selon les périodes, les gens se représentent leur Histoire comme un récit épique, comme une comédie, comme une tragédie ou comme une satire.
Cette dernière représentation correspond à une lecture critique et déconstructiviste de l’Histoire qui se traduit en particulier par la destruction forcenée des symboles historiques. Sur le sujet particulier de la satire comme modèle de représentation historique, je vous recommande l’excellente vidéo « l’art de la riposte : la rhétorique de l’ironie » de la chaine YouTube Victor Ferry.
Les 8 critères du déclin
Pour en revenir à John Glubb, il identifie 8 critères qui traduisent un passage vers « l’âge de la décadence » et qui reviennent avec constance dans l’histoire des grands empires :
- Passage en mode défensif
- Pessimisme
- Matérialisme
- Frivolité
- Dissensions civiles
- Un afflux d’étrangers
- Un affaiblissement de la religion
- Un état providence
Le passage en mode défensif est un signe avant-coureur qui intervient tôt dès la phase d’abondance et qui se traduit par l’arrêt de l’effort d’expansion de l’empire et son repli sur ses frontières naturelles : « La nation, immensément riche, ne s’intéresse plus à la gloire ni au devoir, mais veut simplement conserver sa richesse et son luxe. ».
Il est ironique de constater que le général De Gaulle est, à l’aune des critères de Glubb, celui qui engagea la France sur la voie du déclin avec l’abandon de l’Algérie française puis des colonies d’Afrique alors même qu’il est célébré par beaucoup comme l’architecte de la grandeur française.
On constate sans difficulté que tous les critères de Glubb sont remplis concernant notre civilisation occidentale. Je ne m’appesantis pas sur le pessimisme, le matérialisme, l’afflux d’étrangers et l’affaiblissement de la religion qui sont des phénomènes bien connus de notre société actuelle.
Notons toutefois cette extraordinaire prophétie de John Glubb sur des évènements qui se produisent aujourd’hui, plus de 40 ans après l’écriture de son livre : « Beaucoup d’immigrants étrangers appartiendront probablement à des races initialement conquises et absorbées par l’empire. Alors que l’empire connaît son plein vent de prospérité, tous ces gens sont fiers et heureux d’être des citoyens impériaux. Mais quand le déclin s’installe, il est extraordinaire de voir à quelle vitesse le souvenir des guerres antiques, peut-être des siècles auparavant, est subitement ressuscité. »
Le critère des « dissensions civiles » traduit l’intensification des haines politiques internes. C’est particulièrement le cas aux États-Unis depuis l’élection de Trump qui a enflammé le camp progressiste. Mais également en Europe où le fossé se creuse de plus en plus entre partis progressistes et nationalistes, sans parler des intrants islamistes et indigénistes qui viennent encore rajouter à la confusion.
Sur le critère de frivolité, John Glubb note que : « La frivolité est la compagne fréquente du pessimisme. Mangeons, buvons et réjouissons-nous, car demain nous mourrons. La ressemblance entre diverses nations en déclin à cet égard est vraiment surprenante. ».
Les historiens contemporains de l’Empire arabe de Bagdad soulignent ainsi avec amertume l’indifférence, le matérialisme croissant et le laxisme des mœurs sexuelles dans la Bagdad du début du Xème siècle. Ils commentent l’influence extraordinaire de chanteurs de luths devenus très populaires auprès des jeunes.
De manière surprenante, John Glubb constate également que les phases de déclin des empires s’accompagnent systématiquement d’un accroissement du rôle des femmes dans la vie publique. Il avoue lui-même ne pas savoir expliquer ce phénomène : « Je ne me risquerais pas à tenter une explication ! Il y a tant de mystères dans la vie humaine qui dépassent de loin notre compréhension. »
Toutefois, rappelant les dernières années de l’Empire romain, John Glubb note que « L’augmentation de la confusion et de la violence qui en résulta [de l’entrée des envahisseurs étrangers dans le pays] fit qu’il n’était plus sûr pour les femmes de circuler sans escorte dans les rues, ce qui entraina l’effondrement du mouvement féministe ».
Enfin, le dernier critère « État providence » peut surprendre. John Glubb le resitue dans un contexte plus général de philanthropie et de xénophilie : « L’histoire, cependant, semble suggérer que l’âge du déclin d’une grande nation est souvent une période qui montre une tendance à la philanthropie et à la sympathie pour les autres races. ».
L’empire dominant est heureux d’être généreux, certain de rester pour toujours au sommet de sa puissance : « Les droits de citoyenneté sont généreusement accordés à toutes les races, même celles qui étaient autrefois assujetties, et l’égalité de l’Humanité est proclamée ». Toute ressemblance …
L’Empire romain et plus encore, l’empire arabe de Bagdad firent montre d’une générosité somptuaire dans les derniers instants de leur Âge de l’intellect (qui, rappelons-le, est encore un âge prospère) en fournissant citoyenneté, subventions, nourritures, jeux et soins gratuits.
Comme le note John Glubb, « il est peut-être incorrect d’imaginer l’État-providence comme la marque supérieure des réalisations humaines. Cela peut simplement s’avérer être une étape assez normale dans la vie d’un empire vieillissant et décrépit. »
Existe t’il une solution ?
Dans son livre, John Glubb ne prétend pas à l’exhaustivité ni même à pouvoir expliquer certaines des corrélations qu’il constate dans son analyse historique.
Il souligne que la cause finale qui provoque la chute d’un empire peut-être très variable. En cela, il rejoint la théorie systémique du « manteau de neige » qui veut qu’un empire ne s’effondre jamais pour une cause précise, mais en raison d’une accumulation de crises qui finit par avoir raison de lui. Il s’effondre comme un vieil arbre sans sève ou comme un manteau de neige qui a reçu un flocon de trop. La nature de ce flocon importe peu finalement.
En écho au célèbre livre de Douglas Murray « L’étrange suicide de l’Europe », John Glubb écrit : « La décadence est une maladie morale et spirituelle, résultant d’une trop longue période de richesse et de pouvoir, produisant le cynisme, le déclin de la religion, le pessimisme et la frivolité. Les citoyens d’une telle nation ne feront plus d’effort pour se sauver eux-mêmes, parce qu’ils ne sont pas convaincus que quelque chose dans leur vie mérite d’être sauvé. »
Pourrait-on faire quelque chose pour éviter cette chute ? John Glubb pense que non : « Les faiblesses de la nature humaine, cependant, sont si évidentes, que nous ne pouvons pas être trop confiants dans le succès de cette entreprise. Les hommes débordants de courage, d’énergie et de confiance en eux ne peuvent être facilement empêchés de soumettre leurs voisins, et les hommes qui voient s’ouvrir des perspectives de richesse seront difficilement arrêtables ».
Il ne reste donc qu’à nous préparer à l’inévitable, pour nous ou pour nos enfants. John Glubb souligne que la décadence des empires est avant tout celle d’un système avant d’être celle des hommes. La solution, selon lui, semble donc d’émigrer vers un pays sain pour échapper au contexte délétère d’un pays en déclin : « quand les membres individuels d’une société [décadente] émigrent dans un environnement entièrement nouveau, ils ne restent ni décadents, ni pessimistes ou immoraux parmi les habitants de leur nouvelle patrie. »
C’est une solution peu enthousiasmante – surtout pour ceux qui pensent avoir l’âme patriote – mais en existe-t-il une autre ? Doit-on accepter d’être définitivement lié à un pays qui est en train de couler, dans lequel on ne se reconnait plus ?
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il est possible de changer assez facilement de cadre de vie, d’aller vivre dans des pays plus conformes à vos attentes et à vos valeurs. La théorie des 5 drapeaux – par exemple – offre un modèle de vie résilient basé sur la recherche des meilleurs cadres de vie à l’international. C’est un modèle encore trop peu accessible mais qui mérite d’être étudié. Ce sera l’objet d’un futur article sur ce blog…
Merci de m’avoir lu. Quel est votre sentiment sur l’état de déclin de nos pays occidentaux? Comment voyez vous l’avenir ? Parlez en dans les commentaires!
Bonjours.
Les Cycles de l’humanité
« Tout ce qui atteint le faîte de la grandeur (matérielle) est voisin de la décadence. », dit Montesquieu.
Et René Guénon ajoute : « plus les éléments sociaux qui l’emportent sont d’un ordre inférieur, moins leur domination est durable. »
Il s’agit des cycles de l’humanité, et des mouvements de l’histoire comme dit dit Gaston Georgel.
Il y a de grands cycles de plusieurs milliers d’années, mais aussi de plus courts comme ceux qui font le sujet de cet article.
Les Hindous partagent la durée du monde en quatre âges (Yougas) :
1. Le Krita-Youga, qui a été (suivant Nathaniel Halhed) de 3.200.000 ans. La vie de l’homme alors était de 100.000 ans, et sa stature de vingt-et-une coudées (10 mètres 50 centimètres), la hauteur de l’arbre qui fut son état primitif. Cette mesure est restée celle de son canal intestinal.
2. Le Trêta-Youga, qui a été de 2.400.000 ans, et les hommes vivaient 10.000 ans. C’est la première enfance que la Kabbale appelle « l’homme de terre », l’homme-enfant couché sur la terre.
3. Le Dwâpara-Youga, qui a duré 1.600.000 ans, et la vie humaine y fut réduite à 1.000 ans. (La seconde enfance et l’adolescence).
4. Le Kali-Youga, c’est l’âge actuel, l’âge de ténèbres et de souillures qui doit subsister 432.000 ans, et la vie humaine y est bornée à 100 ans.
La durée de ces âges semble considérablement exagérée.
A côté de l’interprétation géologique et paléontologique des âges de la terre, une interprétation morale a été donnée des quatre âges védiques.
Krita-Youga, « Age de l’action accomplie », c’est-à-dire la période où tout ce qui doit être pratiqué l’était pleinement.
Ceci est le grand mystère de la vie sexuelle de Vishnou, caché dans les âges suivants.
L’âge où la justice, comme dit Manou, « se maintenait ferme sur ses quatre pieds ». Il n’y avait alors ni Dieux ni démons. Le Véda est unique, c’est-à-dire non encore distingué en Rig, Sâma et Yadjour. Vishnou, l’âme de tous les êtres, était blanc.
« L’âge Krita était celui où régnait la vertu éternelle. Il n’y eut, pendant toute la durée de ce Youga, ni maladies, ni perte de sens (folie) ; il n’y avait alors ni malédiction, ni pleurs, ni orgueil, ni aversion, ni guerre, combien moins la paresse, ni haine, ni improbité, ni crainte, ni même souci, ni jalousie, ni envie… ».
Trêta-Youga, « Age des trois feux sacrés ». C’est la période où commencent les sacrifices. La justice perd un pied. Les hommes offrent leur culte à des formes visibles ; Vishnou devient rouge, éveil de l’amour.
Dwâpara-Youga, âge qui suit les deux précédents. La justice perd un second pied, c’est-à-dire ne subsiste plus qu’à moitié. Le Véda devient quadruple et les cérémonies du culte se divisent. Vishnou passe au brun (moralement, c’est-à-dire devient impure dans l’esprit des hommes).
Kali-Youga, « Age de discorde », c’est la période actuelle, où il ne reste plus qu’un pied à la justice. Les prescriptions des Védas ne sont plus observées, les bonnes œuvres et les sacrifices sont négligés, et Vishnou est devenu noir (coupable et condamné, c’est-à-dire calomnié).
Le devoir, la cérémonie, le sacrifice et la conduite suivant les Védas s’éteignent, on voit circuler dans le monde les calamités des temps, les maladies, la paresse, les péchés, la colère et sa suite, les soucis, la crainte et la famine. Ces temps arrivés, la vertu périt de nouveau. La vertu n’étant plus, le monde périt à son tour ; avec le monde expiré meurent encore les « Puissances divines » qui donnent le mouvement au monde. Tel est cet âge Kali, qui a commencé il y a longtemps.
Ne sommes-nous pas arrivés à cette époque redoutable annoncée par les Livres sacrés de l’Inde, nous dit René Guénon, « où les castes seront mêlées, où la famille même n’existera plus » ? Il suffit de regarder autour de soi pour se convaincre que cet état est bien réellement celui du monde actuel, et pour constater partout cette déchéance profonde que l’Évangile appelle « l’abomination de la désolation ». Il ne faut pas se dissimuler la gravité de la situation ; il convient de l’envisager telle qu’elle est, sans aucun « optimisme », mais aussi sans aucun « pessimisme », puisque, comme nous le disions précédemment, la fin de l’ancien monde sera aussi le commencement d’un monde nouveau.
Cordialement.